luna milonguera

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A propos du Tango par Antonio Llamas

                                                                                                                                             "Salon Canning" à Buenos Aires 2009.

 

Antonio Llamas, naît à Paris. Dès ses 8 ans, il suit un vaste parcours de différents styles de danses. En 1996, il découvre le tango ... "Le tango devait bien un jour croiser mon chemin après toutes ces investigations dans l'art du mouvement" dit-il. Cette découverte déclenche en lui un électrochoc : la révélation et l'excellence de la danse à deux : celle qui regroupe toutes les notions de la danse.

 

Antonio débute son initiation en Espagne, à San Sébastien, dans un stage animé par Pedro Monteleone, normalement basé en Italie. Ce maestro le guide sur le long chemin du tango. Il s'investit beaucoup pour lui faire comprendre cette danse. "Je ne connais pas d'autre danse pour laquelle on puisse autant s'investir et ressentir en même temps calme et plénitude, pendant 3 minutes. Ce contact, cette écoute et cette attention totale envers l'autre, c'est une histoire que l'on raconte. C'est comprendre le déplacement du corps de l'autre dans sa façon de marcher, comprendre chacun l'interprétation musicale et la technique de l'autre. C'est un vrai jeu à deux où chacun suit l'autre. Le Tango n'a pas vraiment besoin de se montrer, il est intime "comme l'on dit" , il est secret . Il est Buenos Aires et Montevideo à la fois, le Rio de la Plata, sa culture et son histoire" .

 

Après plusieurs années de pratique, Antonio dira que le tango l'a trouvé lors de son premier séjour à Buenos Aires en 2003. Il dit bien "trouvé", car il pense qu'il l'attendait là-bas. Les diverses rencontres qu'il y fera : milongueros, milongueras, musiciens, enseignants, l'enrichissent et l'amènent, au gré de leurs anecdotes et expériences, à découvrir sa propre histoire, sa vie en quelque sorte. Elles l'aident à se construire, et avec cette bonne dose de tango dans les veines, il pense qu'ils vont cohabiter pour longtemps.

 

Antonio se raconte.

Donc, mon premier voyage eut lieu en 2003. Je n'étais pas parti avec l'idée de faire comme les autres -bien qu'à cette époque ils soient peu nombreux à entreprendre l'aventure- ou pour dire "moi j'y suis allé". Non, rien de celà.

A ce moment-là, je travaillais avec Rolan Van-Loor sur Paris, un danseur argentin de tango et danse contemporaine de la Compagnie Modos Vivendi. Le fait de provenir tous les deux de la danse,  particulièrement les branches classique et contemporaine, favorisa notre complicité et nos échanges.

Il a été un fil conducteur dans mon enseignement, que ce soit pour la technique ou pour l'histoire du tango. Je me suis nourri de son expérience. C'est ainsi qu'un jour je finis par lui demander si j'étais prêt pour aller à Buenos Aires. Sa réponse fut claire : OUI, je l'étais. "Tu as l'esprit et tout ce qu'il faut pour apprendre là-bas".

Et voilà, le grand voyage arriva, non sans quelques appréhensions pour la destination.

 

J'avais loué une pension chez l'habitant à San Telmo, juste en face de la place Dorego, quartier typique des antiquaires et du tango. J'avais une chambre comme tous les pensionnaires avec vue sur la place (pas des plus tranquilles en raison des activités de la journée, des festivités dans les bars et le passage des bus).

Ce n'était pas facile  de dormir, mais bon, c'était très sympa avec une cuisine commune et "une salle de danse" qui était en fait le salon. C'était familial : allemands, français, italiens, toutes les nationalités s'y côtoyaient.

 

Enfin bref, la première image qui me vient à l'esprit, chaque fois que je parle de Buenos Aires, c'est celle d'une personne, une milonguera, qui, si j'avais su, je n'aurais pas invitée. Je m'explique : donc après m'être installé, je suis allé à ma première milonga : "Porteño y bailarin" tenue par Carlos Stassi. Je vois, assise, une milonguera aux cheveux auburn (les danseuses avaient pratiquement toutes les cheveux auburn, cela devait être la mode de l'époque). Je l'invite du regard, fais de mon mieux sur le premier morceau, me présente, etc ... et lui demande si tout va bien, si elle se sent à  l'aise et si ma façon de danser lui convient. Un peu surprise et amusée par ma demande, mais sachant que j'étais étranger, elle me détaille quelques conseils sur ma façon de me mouvoir. En fait, elle est, si l'on peut dire, ma première professeure milonguera, de bal. J'apprenais sans tarder qu'elle était la compagne de Carlos. Je me suis dit ; "la vache ! j'ai dansé avec une pure milonguera, et de plus, la femme de Carlos". J'étais gêné, elle était prévenante et me donnait tellement de bons conseils ; ce fut vraiment la première personne qui me marqua.

Après cette étape, je compris vite que ce n'était pas trop compliqué de danser avec des milongueras "pure souche".

 

Puis une deuxième personne m'impressionna, un sacré personnage, bien connu : Carlos Gavito. Alors lui, il m'a carrément transformé : strict, droit, pas d'entourloupe, que du vrai. Le bal et les milongueras de la pure souche, celle qui te donne une claque et qui te réveille. Après m'avoir analysé, observé, et constaté que j'avais quand même du bagage, il m'a pris sous son aile, et là j'ai encore appris tellement de choses, pas simplement la technique, mais sa vie de milonguero. Une vraie bible, ses mots, ses messages, sa technique intransigeante. Un vrai régal ... J'ai bu sa personne.

 

Ensuite, une autre personne, et pas des moindres : Tete, le danseur éternellement joyeux. Il venait tous les matins boire son café à la pension dont il connaissait les propriétaires. Et bien sûr, je le croisais dans la cuisine commune, et on parlait de tout et de rien. Il me regardait comme le jeune débutant que j'étais. Un type très sympa, lui aussi une bible. Il me demandait où j'allais danser, et me conseillait d'aller à tel ou tel endroit. Je le croisais parfois dans les milongas, et quand je le voyais le lendemain matin, il me félicitait et me donnait des conseils.

 

C'était encore l'époque des milongueros des années fin 40 et début 50, ceux qui avaient reçu l'enseignement des anciens des années 30 et 40 et qui avaient, chacun, sa belle histoire à écrire.

 

Il y avait aussi un milonguero que je croisais dans les milongas et qui faisait parfois une halte à ma table (il s'arrêtait pratiquement à toutes les tables). C'était Puppy Castello, un ancien des années 40, pas très jeune. Il avait une drôle de manière de vous regarder avec ses petits yeux. Lui aussi, une vraie bible, ses histoires, sa vie. Il me faisait de la peine, car il ne dansait plus beaucoup, mais il était là, à la milonga avec les autres. La milonga, c'était leur vie. J'avais remarqué qu'ils parlaient tous de leur vie passée ; la nostalgie d'une certaine époque était bien réelle.

 

Bien sûr, il y eut d'autres rencontres, telles que celles de Graciela Gonzales (la negra), Corinna de la Rosa et Julio Balmaceda, des professeurs géniaux, plongés dans la culture des anciens.

 

Puis, vinrent d'autres voyages. J'ai rencontré et travaillé avec Pibe Avellanera, un milonguero imposant, d'une très grande puissance dans son interprétation du tango. Il était impressionné par mes capacités et voulait que je reste à Buenos Aires pour travailler avec lui dans des spectacles à Boedo. Il me présentait à des musiciens de l'âge d'or : fabuleuses rencontres. Tous d'une gentillesse et humilité rares.

Dans les milongas, Pibe m'invitait à sa table ; c'était drôle, à ces moments-là ; j'avais dix paires d'yeux de danseuses qui me regardaient pour que je les invite. Le fait d'être invité à la table d'un milonguero signifiait pour elles que tu étais un dieu de la piste. Pibe m'a beaucoup appris sur sa technique rapide et vive.

 

Au cours de mes voyages, j'ai également travaillé avec Lorena Ermocida et Osvaldo Zotto, grand danseur de salon. Qui ne connaît pas Osvaldo. Il fait partie de ceux qui ont influencé le tango de par le monde. Technique de précision sans faille, dans la joie et le rire, mais travail intense.

 

Un couple qui m'a encore beaucoup appris : Ernesto Balmaceda et Stella Baez issus d'une grande famille de milongueros. Ils sont devenus de grands amis que nous accueillons chaque année en France lors de leur tournée européenne.  A chacun de mes voyages à Buenos Aires ils étaient là pour me conseiller à tous points de vue autour du tango dans la joie et la bonne humeur. Ils m'ont introduit comme Dj dans les milongas les plus populaires de Buenos Aires, et m'ont permis de faire des démos avec Christine Lambert, etc ... Je dois dire que la plupart du temps nous avons eu de belles sueurs froides, car là-bas on ne trompe pas de quelque façon que ce soit ... Enfin, grâce à eux, j'ai pu vivre de belles expériences.

 

Est également devenu mon ami, Gabriel Sodini, dit Gabi de la milonga "Unitango", un excellent Dj. Il a été le premier à me permettre de faire des animations à la Confiteria la Ideal. Une sacrée expérience. A cette époque, on ne passait pas énormément de tandas de l'ensemble Rodolfo Biagi

Moi, j'avais osé, et une milonguera s'était déplacée pour me féliciter d'avoir passé cet orchestre. En fait, je constatais qu'il y avait des traditions auxquelles il ne fallait pas toucher. Malgré tout, certains Dj osaient pour faire évoluer la musicalité dans les milongas, et ainsi les différencier. Actuellement, la tendance serait aux années 50. Donc, beaucoup de choses ont changé.

 

Par la suite, j'ai pris des cours d'histoire de la musique et particulièrement sur les orchestres avec Mario Orlando, très grand Dj sur la place de Buenos Aires, toujours présent à animer les grandes milongas où je le rencontrais la plupart du temps.

 

Une autre expérience : quelques cours de danse avec Gustavo Naveira, grand maître dans l'innovation du tango et professeur de Chicho Frumboli. Il a révolutionné le tango dans sa façon de l'aborder. On peut dire qu'il a introduit le "tango nuevo".

Il a su faire évoluer ce que faisaient les anciens milongueros vers un mouvement plus contemporain. Une approche très enrichissante.

Plus récemment, mes expériences avec le couple Carolina Bonaventura-Francisco Forquera, l'excellence de la danse en général, me laissent de très beaux souvenirs.

J'ai eu beaucoup de chance de croiser toutes ces personnes qui m'ont tellement touché et apporté. Les retours de voyage furent difficiles, mais je suis riche d'innombrables et merveilleux souvenirs.

 

Interview faite en novembre 2017.

 

 

 



02/02/2018